Manger Bio

« La mort lente et silencieuse des sols », la mise en danger de la biodiversité sauvage font partie des raisons de « manger bio », avec les questions de santé. Ce livre décrit aussi avec précision l’agriculture biologique, ses principes et évoque le débat sur ses dérives industrielles et commerciales…

« Manger Bio. Pourquoi ? Comment ? Le guide du consommateur éco-responsable ». Pascal Pavie et Moutsie. Editions Edisud, 2008.

COUV MANGER BIO

Interview paru dans le Paysan du Midi du 12/12/2008

Manger Bio < Pascal Pavie et Moutsie sont les auteurs d’un livre sur l’alimentation bio mais aussi sur l’agriculture biologique, qui vient de paraître.

« L’agriculture écologique doit nourrir le monde »

Pascal Pavie, viticulteur à Festes-et-Saint-André, près de Limoux, depuis 1981, a des responsabilités à la Confédération Paysanne (à la Commission internationale) et à Nature et Progrès, dont il est certifié depuis 1981.
Moutsie est ethnobotaniste (étude des milieux, utilisation des plantes) et animatrice environnement à l’association L’Ortie. Elle est co-présidente Aude de Nature et Progrès.
Ils nous présentent leur livre.

Le Paysan du Midi : Pascal Pavie, lorsque vous vous êtes installé il y a 27 ans, la consommation de produits biologiques était symbolique en France. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Pascal Pavie : « Cela n’a pas beaucoup changé. La consommation bio est toujours très faible : 1 % des Français mangent bio tous les jours. Mais ce marché est en expansion de 9,5 % par an depuis dix ans.
La France, qui était le premier pays d’Europe pour la production bio dans les années 70, est presque le dernier aujourd’hui. On stagne à 2 % de la SAU (surface agricole utile) française. Cela par manque d’aides et donc de volonté politique.
De ce fait, on importe plus de 50 % des produits bio. C’est aberrant dans un pays agricole comme le nôtre. C’est une aberration écologique, pas seulement pour la santé humaine : un kilo de citrons, pour venir d’Afrique du Sud, consomme trois litres de gasoil. Et c’est pareil pour des denrées que l’on pourrait produire localement.
L’agriculture bio progresse plus vite en Italie, en Autriche, en Espagne… Ces pays ont une politique incitative, financée notamment par le 2e pilier de la Pac (Politique agricole commune de l’Union européenne) : en France, on a préféré mettre, dans ce 2e pilier, des mesures agrienvironnementales d’ordre général. »

Le Paysan du Midi : Mais manger bio coûte cher. N’est-ce pas un frein à l’expansion du bio ?

Moutsie : « Si l’on compare un produit bio et un même produit non bio, le premier sera plus cher ; mais manger bio, c’est manger autrement, c’est accepter de payer un juste prix pour avoir un produit de meilleure qualité et produit dans des conditions respectueuses de la planète.
C’est aussi manger moins de viande et davantage de légumes secs, moins de produits transformés, manger plus local, des produits de saison, acheter en vrac plutôt qu’avec beaucoup d’emballages, sur les marchés…
Il est vrai que les gens ne cuisinent plus, qu’ils achètent par exemple des soupes toutes prêtes, qui reviennent plus cher. On peut manger bio à un prix raisonnable. »

Pascal Pavie : « Concernant les coûts de production, il est certain que la bio demande plus de main-d’œuvre et a souvent des rendements moindres qu’en conventionnel. Donc on a des coûts plus élevés, mais cela c’est vrai en France, pas en Inde ou en Afrique. En France, il y une rente de situation du fait que l’énergie et les pesticides ne sont pas encore assez chers, et en plus ils n’incluent pas les dépenses de la collectivité pour la dépollution et la santé.
Par ailleurs, une exploitation bio perçoit, en moyenne, 25 à 40 % d’aides en moins qu’une exploitation conventionnelle. »

Le Paysan du Midi : Vous dites qu’il n’y a pas assez d’aides à l’agriculture bio ; ça va changer, avec le Grenelle de l’Environnement ?

Pascal Pavie : « Le Grenelle de l’Environnement a en effet pour ambition d’inverser la tendance, de passer à 6 % de la SAU bio en 2012 et à 10 % en 2020.
Pour cela, Michel Barnier (alors ministre de l’Agriculture) a décidé de déplafonner les aides à la conversion et au maintien (chacune de ces deux aides est actuellement plafonnée à 7 600 € par exploitation par an pendant cinq ans, Etat et Feader cumulés) (1).
Nous sommes en colère. Nous aurions préféré que l’argent serve à l’installation plutôt qu’à l’agrandissement. Nous ne voulons pas d’une agriculture bio à l’image de l’agriculture industrielle. Quand des responsables agricoles prônent l’introduction des OGM dans la bio, c’est qu’ils veulent appliquer les mêmes recettes de l’agriculture conventionnelle à la bio ; ils n’ont rien compris à la demande des consommateurs et risquent de faire couler le bateau sur lequel ils viennent juste de monter.
L’installation de jeunes agriculteurs en bio aurait permis de montrer l’importance sociale de l’AB en augmentant la production certes moins vite mais avec plus de diversité.
Le poids du lobby agro-industriel en France n’est pas étranger à ce genre de décision. La France est le premier pays d’Europe en consommation de pesticides et il en consomme deux fois plus que le deuxième pays, l’Allemagne.
Le scandale du soja bio chinois intoxiqué à la mélamine montre bien que le bio ne suffit plus, qu’il faut relocaliser la production et travailler sur des circuits plus courts. Le mouvement des Amap (Associations pour le maintien d’une l’agriculture paysanne), 1 200 en France, est annonciateur d’une nécessité d’aller plus loin que la bio, surtout si celle-ci est ainsi aspirée par le modèle agro-industriel ; nous appellerons cela l’agro-écologie.
Il faut en vouloir pour s’installer en bio. L’encadrement technique des chambres d’agriculture a été, jusqu’ici, quasi-inexistant. Il a fallu recourir à des services associatifs, comme ceux des Civam bio. La recherche s’intéresse peu à l’agriculture biologique : à l’Inra, 1,2 % des chercheurs travaillent sur la bio. »

Moutsie : « La stratégie des lobbies agro-industriels, ça a été aussi de mettre en place l’agriculture raisonnée, pour rassurer le consommateur et continuer à écouler leurs produits chimiques. »

Le Paysan du Midi : Cultiver en bio, c’est changer quelques pratiques ou c’est complètement différent ?

Pascal Pavie : « En agriculture biologique, on s’interdit tous les produits chimiques de synthèse (engrais, pesticides), avec quelques exceptions lorsqu’il n’y a pas d’alternative.
Il y a les textes et il y a l’esprit. Par exemple, on peut utiliser, en viticulture bio, la roténone, qui est un insecticide à très large spectre et qui donc tue tous les auxiliaires. Ce n’est pas satisfaisant.
Cultiver en bio, ce n’est pas seulement remplacer les produits chimiques par des produits moins nocifs. C’est aussi cultiver autrement : d’abord rétablir l’équilibre des sols, l’humus ; c’est favoriser la biodiversité pour avoir des insectes auxiliaires ; c’est limiter la fumure azotée, et parfois produire un peu moins.
Par ailleurs, en agriculture biologique, il ne devrait pas y avoir de monoculture. Réinstaller des haies, laisser le sol enherbé réduit les risques.
Certes, ce n’est pas magique : dans mes vignes, je ne sais plus ce qu’est l’araignée rouge mais par contre j’ai toujours du mildiou. Pour nombre de maladies et de ravageurs, on manque d’aide expérimentale.
Et puis, en bio, on ne peut pas prétendre faire partie du club des 100 quintaux de céréales ; et il faut valoriser davantage les produits. Mais, par exemple, en viticulture AOC (appellation d’origine contrôlée), ça passe très bien. En productions animales on a les mêmes productivités qu’en non-bio.
Le déplafonnement des aides à la conversion va encourager une agriculture bio intensive. On va pouvoir, tout en respectant le cahier des charges, produire des salades en monoculture sur 20 ha, avec des intrants importés, sans biodiversité et dans un esprit de rentabilité haute. Ce n’est pas ainsi que nous voyons l’agriculture biologique. »

Le Paysan du Midi : Face à la crise alimentaire des pays en voie de développement, on dit que l’agriculture biologique a la capacité à nourrir la population mondiale… ?

Pascal Pavie : « A la question « L’agriculture bio peut-elle nourrir le monde ? », il faut, aujourd’hui, répondre : l’agriculture biologique doit nourrir le monde.
Le colloque de la FAO (2) à Rome, en mai 2007, a conclu que l’agriculture biologique est capable de nourrir la planète et qu’elle est l’avenir. Beaucoup de pays, de toutes façons, ont une agriculture biologique ou presque. Ce qui manque aux paysans du tiers monde, c’est des terres et c’est d’apprendre à jardiner sans les intrants qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter (3).
Ce qui a sorti l’Europe de la famine au XIXe, ce n’est pas l’agriculture chimique, c’est une technique bio : l’assolement triennal et la fumure organique ; la chimie est arrivée après.
L’agriculture biologique, exigeante en main-d’œuvre, maintient les gens dans les zones rurales, évitant l’exode vers les bidonvilles surpeuplés.
Elle a fait ses preuves en termes de qualité des produits. Il faut aujourd’hui qu’elle change d’image et soit perçue comme une vraie alternative. »

Propos recueillis par Philippe Cazal

1) Pour atteindre ce plafond, il faudrait par exemple convertir 12 ha de maraîchage, 21 ha de vigne ou 38 ha de céréales.

2) FAO : Organisation de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture.

3) François de Ravignan développe ce point de vue dans « La Faim, pourquoi ?« .

Un « guide du consommateur éco-responsable »

« Manger Bio. Pourquoi ? Comment ? Le guide du consommateur éco-responsable », de Pascal Pavie et Moutsie, est paru aux éditions Edisud (145 pages, format 17 x 23, nombreuses illustrations couleur, 18 €). En vente en librairie. Edisud : tél. 04 42 21 61 44, fax. 04 42 21 56 20, info@edisud.com , http://www.edisud.com
L’ouvrage, préfacé par François de Ravignan, dresse, dans sa première partie, un état de la planète, et notamment de la « mort lente et silencieuse » des sols et du danger encouru par la biodiversité sauvage.
« Relation alimentation et santé », la 2e partie, évoque « ce qui se cache dans nos assiettes » mais aussi sur les étiquettes.
L’agriculture biologique, ses principes, sa certification sont largement développés dans la 3e partie, qui évoque aussi le débat entre les puristes du bio et les formes plus ou moins édulcorées (4).
Les produits et les différents modes de commercialisation font l’objet des derniers chapitres, avec des informations très pratiques sur les réseaux de magasins.

4) Sur ce débat, lire « La Bio entre business et projet de société« .

 



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