Amis de François de Ravignan : Des exclusions aux alternatives en milieu rural

La deuxième rencontre des Amis de François de Ravignan, fin juin 2013, avait pour thème « Des exclusions aux alternatives en milieu rural ». Une réflexion sur les luttes individuelles et collectives contre les effets dévastateurs de la politique économique libérale.

(article paru dans le Paysan du Midi du 23 août 2013)

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La disparition des paysans n’est pas une fatalité. C’est l’un des messages que lançait François de Ravignan dans « L’avenir d’un désert », petit livre paru en 1996, qui analysait l’effet de l’exode rural sur le sud-ouest de l’Aude et soulignait en même temps l’apport de vitalité que représente pour ces cantons l’arrivée de néo-ruraux depuis les années 1970.
« Les Amis de François de Ravignan » organisaient, fin juin 2013 à Camps-sur-l’Agly (Hautes-Corbières), la 2e rencontre en hommage à François de Ravignan, sur le thème « Des exclusions aux alternatives en milieu rural ». L’association a vu le jour après le décès en 2011 de cet agronome et économiste installé à Greffeil (11), qui a beaucoup travaillé sur l’agriculture paysanne.
« L’avenir d’un désert » (1), qui a servi de base à la réflexion de l’une des matinées de ces rencontres, animée par Pascal Pavie, analyse les effets de l’exode rural, à partir de la lecture de paysage notamment puis d’une étude démographique sur les huit cantons du sud-ouest de l’Aude (de Limoux à Axat et de Belcaire à Mouthoumet) : après un maximum démographique vers 1850, la population chute presque de moitié en près d’un siècle. Cette tendance est la même pour la France rurale dans son ensemble.
Une chute de la population qui ne doit rien au hasard. L’exode rural, explique François de Ravignan, est la conséquence d’un choix économique, celui de l’industrialisation et de l’ouverture des marchés.
Exemple : l’ouverture, en 1857, de la ligne de chemin de fer de Bordeaux à Sète permet aux blés russes, moins chers, de concurrencer les blés audois ; résultat, les prix baissent de 40 % en un an.
Mais surtout, dans ces terres de montagne, c’est la laine, et l’élevage ovin, qui pâtissent du traité de libre échange (1860) avec l’Angleterre, lequel permet à la laine de l’hémisphère sud d’entrer par les ports français avec des droits fortement réduits. Cela entraîne le développement de l’industrie lainière de Mazamet (Tarn), la laine importée, de Mérinos, étant plus fine que la laine locale, mais c’est la ruine pour l’élevage ovin de la région, dont les effectifs seront divisés par quatre en cinquante ans.
Dans la suite logique de cette politique économique, l’intensification de l’agriculture accentue l’exode rural. En cinquante ans, les huit cantons perdent la moitié de leurs terres labourables, malgré la mécanisation ou plutôt à cause d’elle. Ce qui signifie 40 % de production de calories en moins. Un territoire qui était autosuffisant sur le plan alimentaire ne l’est plus.

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En 1850, le territoire du sud-ouest audois était autosuffisant sur le plan alimentaire. Aujourd’hui, malgré la mécanisation, il ne l’est plus. Photo issue du site Photo Libre.

Dans ce contexte économique, les politiques de développement du territoire, qu’elles proviennent de l’Etat ou des collectivités territoriales, ne peuvent qu’aboutir à l’échec, estiment les participants à cet atelier : « elles ne peuvent qu’essuyer les plâtres de la politique économique ».

Ces politiques de développement, dans notre région, favorisent d’ailleurs plutôt le tourisme. Quand elles s’intéressent à l’agriculture, elles ont leurs limites : la Politique agricole commune est orientée vers le soutien aux grandes exploitations, de plaine, et n’aide pas beaucoup la petite installation.
« Que reste-t-il alors, sinon la solidarité ? », se demandent les Amis de François de Ravignan.

On parle beaucoup aujourd’hui de « relocalisation ». L’arrivée, dans le sud-ouest de l’Aude, de néo-ruraux (dont tous ne vivent pas de la terre) ces quatre dernières décennies est bien une relocalisation spontanée. Cette « nouvelle économie », d’initiative privée, a apporté une vitalité indéniable à ces cantons. Elle ne suffit pas toutefois à contrecarrer les effets de la politique économique.

L’accompagnement de petits projets

La solidarité, c’est l’esprit de l’action de l’Adear (Association pour le développement de l’emploi agricole et rural) de l’Aude, qu’a présentée son co-président, Frédéric Tedesco. Cette action, auprès des candidats à l’installation « qui ne rentrent pas dans les clous de l’installation classique », se concrétise par des formations, de l’entraide, du tutorat et aussi, depuis peu, une couveuse qui accompagne une dizaine de projets (à Carcassonne et Galinagues).
« De marginale, l’Adear est devenue un élément important de l’installation », note Frédéric Tedesco. En 2012, elle a reçu 220 personnes ; elle a accompagné 75 personnes à long terme et en démarrage d’installation et 50 personnes déjà installées.

Luttes locales dans le monde

Ces rencontres ont été l’occasion de diffuser des informations sur un certain nombre de luttes, dans le monde, pour la terre et pour le travail. Silvia Perez Vitoria a fait le point sur les dernières rencontres de Via Campesina, fédération mondiale d’organisations paysannes et de travailleurs de la terre.
Elle a rappelé les luttes que mène Via Campesina, contre l’Organisation mondiale du commerce, contre l’accaparement des terres et pour l’accès des paysans à la terre, sur les semences paysannes, sur le climat (campagne « les paysans refroidissent la planète », qui fait allusion à l’effet de serre), la récupération des savoirs paysans (création de centres de formation à l’agroécologie), combats des migrants agricoles, luttes des femmes…
François de Ravignan, souligne-t-elle, avait travaillé sur nombre de ces questions. Il avait en particulier mis en évidence le fait que seuls les petits paysans peuvent répondre aux questions de la faim (voir notamment « La faim pourquoi ? », La Découverte, 1983, réédité en 2009).
Le lendemain, Nick Bells, de Longo Maï, a évoqué le combat du Soc (Syndicat des travailleurs de la terre) en Andalousie pour l’accès au travail (la mécanisation du coton, notamment, a fait régresser le besoin de journaliers) et l’accès à la terre.
Daniel Cérézuelle, pour sa part, a détaillé les résultats d’une étude sur les jardins familiaux (voir encadré) et Jacques Prades a dépeint l’évolution de la coopération (voir autre encadré).
Autant de témoignages d’initiatives, alternatives au modèle dominant, qui illustrent la possibilité d’organiser différemment la société et l’économie. Ces exemples participent à l’évolution des idées et des modèles en place. Ce qui n’est pas contradictoire avec l’avis de Jacques Berthelot (2) selon qui « il faut agir à la base, dans le milieu associatif mais aussi faire pression sur l’Etat » (pour qu’il fasse évoluer sa politique). Jacques Berthelot souligne notamment le danger que le projet d’accord de libre-échange UE/USA fait courir à l’agriculture européenne.

Philippe Cazal

1) « L’avenir d’un désert. Au pays de la Haute-Vallée de l’Aude », François de Ravignan, Ed. Atelier du Gué (www.atelierdugue.com), 1996, réédité et mis à jour en 2003.

2) Economiste, ancien maître de conférences à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse, Jacques Berthelot a notamment écrit, avec François de Ravignan, « Les Sillons de la faim » (L’Harmattan, 1980).

 

Des jardins ouvriers aux jardins familiaux

Daniel Cérézuelle a souligné le rôle des jardins familiaux dans la lutte contre l’exclusion en milieu urbain. Professeur de philosophie et de sociologie, il est directeur scientifique du Pades, Programme autoproduction et développement social. Il a réalisé plusieurs études sur le sujet des jardins familiaux.
Nombreux avant guerre, les jardins familiaux étaient le résultat d’une revendication ouvrière, et pas seulement le fruit du paternalisme de certains patrons, souligne-t-il. Ils ont, depuis, largement disparu, laminés par le développement urbain et parce qu’avec l’industrialisation de l’agriculture et le déploiement de la grande distribution, la production domestique n’avait plus de sens aux yeux des contemporains.
Pourtant, certains jardins familiaux persistaient, dans les années 70 (D. Cérézuelle avait alors mené une enquête) : pour ceux qui les cultivaient, ils pouvaient représenter un revenu complémentaire (« équivalant au moins à un 13e mois de RMI »), et surtout, dit Daniel Cérézuelle, la motivation principale était la qualité de l’alimentation. « On mange mieux », disaient les personnes interrogées et elles parlaient de la qualité des produits mais aussi du goût. Les jardins familiaux sont par ailleurs l’opportunité, pour les jeunes, « d’une initiation à la valeur travail. »
« Plus tard, un enjeu est devenu très important », poursuit D. Cérézuelle ; les jardins familiaux sont devenus « un outil de lutte contre la malnutrition et la malbouffe » (et l’obésité qui va avec) : « un jardin a rapidement un impact positif sur les pratiques alimentaires et les gens se remettent à préparer les repas ».
Aujourd’hui, avec la « crise » économique, la demande de jardins familiaux est redevenue très forte, en particulier dans les cités HLM et pas seulement dans les milieux « bobos ».

Coopératives : « la perte du sens de l’utopie » ?

Jacques Prades, auteur d' »Utopie réaliste. Renouveau de l’expérience coopérative. » (L’Harmattan, 2012), parle de « profonde régression historique » qui tient à « la perte du sens de l’utopie », notamment dans le mouvement coopératif.
Il estime que le système coopératif français, plus qu’en Italie ou en Espagne, a perdu son objectif d’économie solidaire « parce qu’il y a un décalage énorme entre la théorisation et la pratique de terrain ».
Les SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif) sont beaucoup plus nombreuses en Italie qu’en France, dit-il. De même, en France, les coopératives de consommateurs ont presque disparu.
Jacques Prades explique cela par la perte de l’esprit coopératif (avec des adhérents plus consommateurs de coopérative qu’acteurs) et propose de refonder la théorie des coopératives en s’appuyant sur celle des limites : limite de la taille (« il ne faudrait pas dépasser environ 200 adhérents »), de la destruction des ressources naturelles, limite de l’investissement (à l’inverse de la logique de cotation en bourse)…
L’un des échecs de la coopération, se demande Pascal Pavie, est peut-être « de s’être cantonnée aux moyens de transformation et de commercialisation, sans avoir abordé la production ? ».
Pour sa part, Jacques Berthelot évoque l’internationalisation des coopératives en Europe, avec l’achat de filiales non coopératives, et il cite l’exemple de Tereos (sucre), qui a pris le contrôle de Guarani, le 3e producteur de sucre et d’éthanol au Brésil, et d’une sucrerie au Mozambique : « les dividendes de ces sociétés apportent 1 500 à 2 000 € par an à chaque coopérateur ». Il s’interroge aussi sur les conditions de travail des coupeurs de canne au Mozambique « qui sont régulièrement en grève ».

Plus de renseignements sur Les Amis de François de Ravignan : L’Ortie, Lasserre du Moulin, 11260 Saint-Jean de Paracol, tél. 04 68 20 36 09, lortie@wanadoo.fr

Les 3es Rencontres des Amis de François de Ravignan devraient avoir lieu en novembre 2014.

Lire aussi, dans ce blog, la note de lecture sur « La faim, pourquoi ? », de François de Ravignan.

Nota : Il n’est pas fait état ici de certaines interventions, auxquelles je n’ai pas assisté.


Union européenne : quel bénéfice pour l’agriculture turque ?

François de Ravignan Entrer dans l’Union européenne ne profitera pas à l’agriculture turque, estime cet agro-économiste. Pour lui, la Pac est une « machine à exclure » (article paru dans le Paysan du Midi du 18/09/2009 ; il parle de François de Ravignan, qui était encore en vie, au présent).

UE : Quel bénéfice pour la Turquie ?

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Rencontre avec un berger. La petite agriculture reste dominante en Turquie.

Lors de récents voyages en Pologne et en Turquie, François de Ravignan s’est intéressé aux agricultures de ces pays et à la façon dont elles sont en train de s’adapter aux règles de l’Union européenne.
Il constate, tant dans les pays récemment devenus membres de l’UE qu’en Turquie, qui a des accords économiques avec l’Europe et qui a déjà entamé son intégration, que la Politique agricole commune détruit les petites agricultures.
En Pologne, sous le régime communiste, l’agriculture n’avait pas été collectivisée, à la différence des pays voisins. Une toute petite agriculture de propriété privée s’était maintenue en complément d’une petite industrie très diffuse en milieu rural, avec souvent des emplois mixtes. Le système des prix agricoles permettait de vivre avec très peu de terre.
Depuis son entrée dans l’UE en 2004, la Pologne « essaie de faire en dix ans ce que l’Europe a fait en trente ans » : l’agriculture se concentre à grande vitesse car dans le marché européen vivre à la terre n’est plus possible sur de petites exploitations. Les jeunes, qui pensaient succéder à leurs parents, vont chercher un travail très hasardeux en ville. Les petites usines rurales ferment.
En Allemagne de l’Est (avec la réunification et donc l’entrée dans l’UE), « du jour au lendemain », poursuit François de Ravignan, « des productions agricoles familiales de lait, d’œufs, de jardins familiaux, ont été supprimées : ces produits ont été remplacés par des produits importés de l’Ouest ou d’ailleurs. »
Même constat en Roumanie : « le libéralisme a fait en trois ans ce que Ceaucescu n’a pas fait en trente ans. »

Une libéralisation déjà à l’œuvre

François de Ravignan s’est rendu en Turquie, début 2009, avec Pascal Pavie (agriculteur audois, membre de la Confédération Paysanne et de Nature et Progrès) et Moutsie, co-auteure avec celui-ci d’un livre sur l’agriculture biologique (1). Tous trois souhaitaient se rendre compte de la situation de l’agriculture turque avant une possible entrée dans l’Union européenne.
Ils y ont vu ce qu’une certaine agriculture turque avait à perdre à rentrer dans l’UE. Et aussi ils ont entre-aperçu le concurrent qu’un autre type d’agriculture turque peut devenir pour nos productions méditerranéennes.
Avec 7 millions d’actifs agricoles, soit environ 25 % de la population active (d’autres sources donnent de 20 à 30 %), la Turquie compte autant de paysans que l’ensemble de l’Union européenne à 23 (sans la Roumanie et la Bulgarie). A côté, la population active agricole est aujourd’hui inférieure à 3 % en France.
L’agriculture turque compte donc encore un grand nombre d’exploitations, de petite taille (environ 6 ha en moyenne) mais aussi de grandes exploitations : 0,4 % du total des exploitations, parmi lesquelles des sociétés multinationales, occupent des domaines de plus de 100 ha en moyenne et 12 % des terres.

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On trouve, sur les marchés, les productions locales mais aussi des plantes sauvages de cueillette.

La Turquie est, en 2009, un grand pays agricole. Par ses superficies en production (environ 28 millions d’hectares, autant que la France, dont plus de 5 millions sont irrigués) et par ses productions : céréales, coton, élevage, fruits et légumes, tabac et thé sont les principales.
Même si la propriété est particulièrement morcelée, l’agriculture turque est une agriculture moderne, sous l’effet des politiques agricoles menées depuis l’instauration de la République par Atatürk (2) : diffusion de l’enseignement et de la formation technique, infrastructures routières et d’irrigation, création de coopératives d’Etat (appro et collecte), prix garantis ont permis à ce pays d’être autosuffisant en aliments tout en conservant une population rurale importante sur de petites exploitations.
Mais depuis la fin des années 90, la pression du Fonds monétaire international et de la Banque Mondiale l’a amené à inverser la vapeur et à réorienter son agriculture vers une économie libérale, après l’avoir fait pour ses autres secteurs économiques. Les dirigeants turcs ne pouvaient d’ailleurs pas à la fois maintenir une politique agricole protectionniste et vouloir entrer dans l’UE (3).
La Turquie a donc dû commencer à appliquer les recettes habituelles du FMI et de la Banque Mondiale : cure d’austérité pour l’Etat (et donc réduction de ses aides à l’agriculture), libéralisation des échanges, privatisation en particulier celle du secteur coopératif, liberté des prix.
Avec les conséquences habituelles aussi pour les paysans : baisse des prix et du revenu.
On peut citer, comme exemple des effets de la politique libérale, la forte baisse du cheptel ovin (de moitié environ, en vingt ans) du fait de la suppression de garantie des prix et aussi de l’importation de viande congelée de Nouvelle Zélande, qui a contribué à casser les prix.
La tendance est donc aujourd’hui à un désengagement de l’Etat et à une priorité à l’initiative privée. Avec pour conséquence une disparition rapide des petits paysans et une concentration de la terre.
Si la Turquie finissait par rentrer dans l’Europe, la libéralisation totale de ses échanges agricoles, explique François de Ravignan, aurait des effets très négatifs sur son agriculture : faute d’être suffisamment compétitive dans certains secteurs, elle deviendrait importatrice nette de céréales, de viande, de lait et de volaille. Elle ne serait plus exportatrice nette que de fruits et légumes et là elle « participerait au grand déménagement de la production de fruits et légumes du bassin méditerranéen ».
Aussi, pour les agriculteurs, l’exode rural et le chômage sont les perspectives les plus probables.
Pour François de Ravignan et Pascal Pavie, il n’y a pas de fatalité. « Une politique alternative, entre le libéralisme et le tout Etat » reste possible. C’est la seule « qui soit en mesure de défendre plusieurs millions de paysans ».
C’est généralement au nom de la paix entre les peuples que s’est construite l’Europe et que ses élargissements successifs ont été vendus aux citoyens. « On ne reprochera jamais assez aux promoteurs de l’Union européenne », dit François de Ravignan, « de l’avoir fondée sur le libéralisme économique, comme si, de la liberté des échanges – alias la guerre économique -, pouvait sortir ipso facto la paix entre les nations. »

Philippe Cazal, Paru dans le Paysan du Midi du 18/09/2009

1) Pascal Pavie et Moutsie, « Manger bio, Pourquoi, comment ? Le guide du consommateur responsable », Edisud, 2008.

2) En 1923, Mustafa Kemal, « Atatürk » (= « le père des Turcs »), fonde une république laïque et moderne sur les ruines de l’empire ottoman.

3) Par la signature d’une union douanière avec l’UE en 1996, la Turquie a accepté de libéraliser son marché des productions industrielles.

Bio d’exportation et biodiversité

L’objet du périple en Turquie de Pascal Pavie, Moutsie et François de Ravignan était aussi de s’informer sur l’agriculture bio et la biodiversité en Turquie.
Ils ont été reçus par l’association Emanetçiler Derneĝi, dont le but est la sauvegarde de la biodiversité agricole et rurale.
« La Turquie, berceau de l’agriculture il y a 10 000 ans, est un pays très riche en matière de biodiversité », dit Pascal Pavie. « Des générations de paysans-paysannes ont sélectionné des milliers d’espèces d’arbres fruitiers, de semences, d’animaux d’élevage adaptés aux conditions locales très diverses que connaît la Turquie. Ainsi, de l’élevage de montagne en région kurde aux productions tropicales du Sud-Est, on passe par la production céréalière du plateau anatolien sur un territoire quasiment steppique, à la culture du thé sur les rives de la Mer Noire, aux fruits et légumes méditerranéens sans oublier les cultures comme les noisetiers en climat plus continental. »
« On compte 3 000 variétés ou races animales endémiques, bien mieux adaptées que les variétés et races étrangères. Ce sont les petits paysans de montagne et de régions pauvres du Kurdistan ou des villages anatoliens qui utilisent exclusivement des semences locales et essentiellement la traction animale. »
« Comme souvent dans le monde, l’agriculture est beaucoup plus industrialisée en plaine. »
« Le constat de cette association est qu’il faut donc tout faire pour aider cette petite paysannerie à résister face au rouleau compresseur de la modernité et des normes de standardisation dictées par le marché et par les normes occidentales. Ce sont ces petites exploitations qui sont le réservoir de la biodiversité. »
« La question que nous nous posions était de savoir le rôle que jouait l’agriculture biologique dans ce contexte. »
« Tout d’abord cette agriculture se développe par la demande du marché européen : plus de 95 % de la production labellisée bio est exportée par de grandes entreprises comme Içuk ou Rapunzel. »
« Ces firmes intègrent les paysans dans un système de production qui doit satisfaire un marché aux normes européennes ; elles fournissent l’encadrement technique, les plants et les intrants. Si ce marché d’exportation procure quelques revenus à certains paysans, il ne présente pas un bilan écologique satisfaisant à cause des transports et des emballages et surtout ne contribue pas à la sauvegarde de cette biodiversité domestique. »
« Les marchés locaux semblent encore nombreux et la production locale bien présente et diversifiée (avec aussi de nombreux petits stands tenus par des femmes qui vendent des plantes sauvage de cueillette) ; mais nous avons pu aussi constater dans tous les marchés l’envahissement de produits provenant de secteurs agricoles visiblement très industrialisés et standardisés (pommes, tomates, agrumes, légumes). De l’avis de nos interlocuteurs la production réellement biologique est celle de ces petits paysans qui vendent localement et auto-consomment une bonne partie des produits. »

Un certain regard sur le milieu rural

François de Ravignan, ancien chercheur à l’Inra, a travaillé en Afrique subsaharienne, au Maghreb, en Inde et dans plusieurs pays d’Europe. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la faim dans le monde et sur le « développement ». Il résidait à Greffeil, dans l’Aude.
Parmi ses ouvrages :
Nouveaux voyages dans les campagnes françaises (avec René Dumont), Le Seuil, 1977.
Comprendre une économie rurale (avec Bernadette Lizet), L’Harmattan, 1981.
Naître à la solidarité (avec Albert Provent), Desclée de Brouwer, 1981.
La faim, pourquoi ?, La Découverte, 1983, réédité en 2009.
Comprendre un paysage (avec Bernadette Lizet), Inra, 1987.
L’économie à l’épreuve de l’Evangile, Cerf, 1992.
L’Avenir d’un désert, au pays sud-audois, Atelier du Gué, 1996, réédition 2003.
Carnets de voyage en Inde 2003-2005, La ligne d’horizon, 2006
Carnet de voyage en Pologne, A plus d’un titre éditions, 2007

Lire, dans ce blog, la présentation de « La Faim, pourquoi ?« , de François de Ravignan.

Une « Association des Amis de François de Ravignan » a été constituée en 2011. Elle a tenu ses 2es Rencontres du 21 au 23 juin 2013 à Camps-sur-l’Agly (Aude). Renseignements : jeanlabourgade@wanadoo.fr

Pour en savoir plus sur François de Ravignan, voir La Ligne d’Horizon. Cette association, dont il a été longtemps président, vient d’éditer son « Carnet de Voyage en Turquie ».

Lire aussi le n°68 (2013) de la revue Horizons Maghrébins sur « l’Afrique en mouvement ». Il rassemble notamment 12 articles sur « François de Ravignan, une passion pour la terre et ses petits paysans ».