« Voyage en Misarchie » : il est encore permis de rêver

En ces temps de désenchantement et de résignation devant la soi-disant fatalité néo-libérale, inégalitaire et porteuse d’austérité, le livre d’Emmanuel Dockès, « Voyage en Misarchie », montre que la capacité à imaginer une autre société n’est pas perdue pour tout le monde.

« Voyage en Misarchie. Essai pour tout reconstruire », Emmanuel Dockès, Éditions du Détour, mars 2017.

Sur un ton badin, l’auteur nous transporte dans un pays inconnu, l’Arcanie, où son héros atterrit suite à un accident d’avion. Ce personnage aura beaucoup de mal à s’adapter à cette contrée dont les coutumes diffèrent fortement des nôtres. Sur cette trame amusante nous allons à la découverte d’un autre monde, et de surprise en surprise.

Les premières mésaventures du héros ont trait au thème de la sexualité. Histoire de nous faire comprendre que la tolérance et le respect de la liberté individuelle sont le principal tabou de la société arcanienne. On peut discuter de tout, sauf de ces principes.

On comprend vite que le système économique de l’Arcanie a banni la propriété capitaliste et a instauré l’accès de tous aux biens fondamentaux.

Bien sûr, l’État a disparu (Misarchie = horreur du pouvoir). Il est remplacé par divers niveaux de pouvoir, aux mains des citoyens. Les principaux sont les « districts solidaires », qui gèrent les biens fondamentaux comme la santé et l’éducation, et les districts simples, entités territoriales qui peuvent gérer l’eau potable d’un bassin versant, un immeuble, voire un ascenseur. Ce sont les citoyens qui décident de créer un district, en fonction de leurs besoins et de la réalité locale.

Le tout est, on l’a compris, fortement décentralisé et autogéré. Et en constante évolution.

Ces structures sont gérées par les citoyens, soit en assemblée de tous les usagers lorsque la structure reste modeste, soit, pour les structures plus importantes par des assemblées en partie élues, en partie tirées au sort.

La santé, l’éducation, les communications (internet…), la sécurité sont gratuits. Certains services publics (comme le transport) sont payants mais fortement subventionnés. Il y a bien sûr des impôts pour financer tout cela.

La suppression de la propriété sur les biens immeubles interdit toute forme de domination : impossible d’exploiter des salariés en possédant une grande entreprise, impossible d’exploiter un locataire en lui louant un appartement ou une terre. La petite entreprise individuelle reste possible, l’esprit d’entreprise est donc sauvegardé, mais avec des garde-fous, le pouvoir revenant progressivement à l’ensemble des salariés. Il y a aussi des sortes de coopératives, où l’autogestion est totale (contrairement à nos coopératives agricoles, devenues de grands groupes capitalistes).

Tout comme la propriété, le travail est partagé, le temps de travail de base étant de 16 heures hebdomadaires, avec une large place laissée aux loisirs.

Chacun a bien sûr accès au logement mais celui-ci n’est pas transmissible aux enfants. L’héritage reste possible pour de petites sommes ou des biens d’une valeur limitée.

La monnaie est entièrement informatisée, avec une transparence totale permise par un contrôle strict par des représentants des citoyens. Pas possible de spéculer, de blanchir l’argent sale ou de s’évader dans les paradis fiscaux.

La société arcanienne reste ouverte : les immigrants sont accueillis avec générosité, on leur donne les moyens de subsister dignement et de s’intégrer rapidement, avec les mêmes droits que les Arcaniens de longue date.

L’auteur n’impose pas ce modèle sans débat. Il compare, à travers les avis des différents personnages, la société arcanienne à la nôtre (ce qui au passage souligne les inégalités criantes de cette dernière) et soupèse les arguments pour ou contre par exemple sur la liberté d’entreprendre, le revenu universel, la prise en charge de la délinquance, le contrôle citoyen…

L’auteur nous rassure : tout cela fonctionne… mais il a fallu des siècles d’évolution aux Arcaniens pour parvenir à ce système, qu’ils jugent d’ailleurs bien imparfait.

Alors, au travail !

Ph.C.

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Emmanuel Dockès, professeur de droit à l’Université Paris-Ouest Nanterre, a coordonné « Proposition de Code du travail », qui réduit des trois quarts le volume du Code du travail tout en assurant un niveau de protection supérieur pour les salariés.

En savoir plus : Editions du Détour.



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