La zone euro livrée aux marchés financiers

Les économistes atterrés
« 20 ans d’aveuglement
L’Europe au bord du gouffre »

Crise de la dette : le capitalisme financier se nourrit des déficits publics

Des politiques économiques anti-sociales pour :
– abaisser les impôts au profit du capital
faire supporter aux populations le remboursement des dégâts causés par l’irresponsabilité des banques

« 20 ans d’aveuglement. L’Europe au bord du gouffre », par Les économistes atterrés, coordonné par Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Henri Sterdyniak, Editions Les Liens qui Libèrent 2011

Un petit livre vite lu (174 pages, format 11,5 x 17 cm) très instructif et d’actualité sur les crises.

Eco atterrés 2

Le capitalisme crée la dette

Henri Sterdyniak analyse d’abord « la crise (financière) de la zone euro ».
« Le stade actuel du capitalisme – le capitalisme financier – se caractérise », dit-il, « par le développement prodigieux des marchés financiers ».
Les masses énormes de capitaux ont besoin de placements rentables pour réaliser des super-profits. Après la dette du tiers monde, les bulles boursières, immobilière aux USA par exemple, ils ont besoin de nouveaux emprunteurs. La dette « souveraine » (la dette des États, qui, sous forme d’obligations, financent leur déficit budgétaire) est leur nouvelle cible. On peut dire que le capitalisme crée la dette ou en tout cas qu’il la transforme en handicap, en l’aggravant.
C’est alors la spirale infernale de la spéculation qui se met en marche. Les marchés financiers doutent de la solvabilité des emprunteurs (et les agences de notation y contribuent : la fiabilité de la dette souveraine est déclassée), les taux d’intérêt des prêts augmentent et on assiste à des ventes d’actifs et à la chute de leur valeur. Le coût de la dette ne cesse alors d’augmenter, le déficit public s’accroît, etc.

Les failles de la zone euro

L’auteur analyse ensuite les contradictions de la zone euro.
La zone euro, dit-il, est un espace à monnaie unique « entre des pays en guerre économique » entre eux, qui n’ont pas de politique économique commune, ni d’harmonisation fiscale, sociale, réglementaire.
Cet état de fait organise la concurrence économique entre des États du « nord », dont l’Allemagne, et ceux du « sud », les premiers réduisant les salaires et les dépenses sociales pour augmenter leur compétitivité, ce qui leur procure un excédent commercial aux dépens des seconds.
Par ailleurs, la Commission européenne, avec l’appui de l’Allemagne et de la France, met progressivement en place une politique de réformes structurelles libérales au prétexte de réduire les déficits budgétaires : ouverture des frontières, libéralisation des services et du commerce, baisse des impôts, réduction des déficits publics et donc réduction des salaires (et « flexi-sécurité »…), des dépenses sociales (allocations chômage, retraites…) et des services publics (diminution du nombre de fonctionnaires), privatisations.
Cette politique est une politique budgétaire, et pas une politique économique. Elle aggrave la situation en ralentissant la croissance et en faisant baisser le produit intérieur brut (PIB)… ce qui alourdit le déficit (au lieu de le réduire), donc la dette.
Le remède à la crise, proposé par la Commission européenne et le Fonds Monétaire International, qui est de réduire le déficit public (cette position oppose les économistes néo-libéraux aux économistes keynésiens), souligne une autre contradiction de la zone euro : les États membres ne peuvent pas se financer auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Ils doivent donc emprunter sur les marchés financiers… et subir leur loi.
Mais comme les marchés financiers eux-mêmes sont indisciplinés et mus par la spéculation, une crise de défiance vis-à-vis de la dette souveraine peut survenir très rapidement.
Autre élément : la monnaie unique enlève aux États membres leur autonomie en matière de politique monétaire et leur défend par conséquent, notamment, de financer leur déficit budgétaire par l’émission de monnaie. L’une des conséquences est que la zone euro peut faire faillite alors que tous les autres États du monde ne peuvent pas (ils peuvent réguler leur déficit par l’émission de monnaie). De ce fait, la zone euro est encore plus soumise à la spéculation financière.
Ainsi la zone euro, l’un des ensembles économiques les plus solvables du monde, est artificiellement rendue insolvable et livrée, sans défense, aux marchés financiers.

Une autre politique est possible

Henri Sterdyniak évoque trois scénarios de « sortie de crise ». Le premier est celui prévu par la Commission européenne : celui de la rigueur budgétaire. Elle réduit la croissance, est inefficace pour lutter contre la crise financière et accroît la crise dans les pays du sud de l’Europe, qui sont donc exposés à la spéculation des marchés financiers.
Deuxième scénario, l’éclatement de la zone euro, avec une sortie des pays du sud qui, subissant trop de contraintes, pourraient vouloir retrouver leur autonomie monétaire et donc leur liberté de gestion économique.
L’auteur préfère un troisième scénario, celui de la solidarité entre États et du desserrement de l’étreinte des marchés financiers. Cela implique le rachat et le nantissement de la dette publique par la BCE et le financement des États par cette même BCE, ainsi que la baisse des taux d’intérêt de la dette des pays du sud ; mais aussi faire assumer les pertes des banques par leurs actionnaires et créanciers, effectuer un prélèvement exceptionnel sur les grandes fortunes, contrôler les activités des banques, réglementer les agences de notation, relancer la croissance (par une hausse des salaires, des impôts et des dépenses sociales et publiques dans les pays du nord de l’Europe, qui en ont les moyens, ce qui rejaillirait positivement sur les pays du sud), coordonner les politiques économiques des États membres, engager la reconversion écologique.

Irlande : la population paie les pertes des banques

Deux crises souveraines illustrent bien ce qui précède, celles de l’Irlande et de l’Islande, avec deux réponses différentes.
Benjamin Coriat décrit la crise irlandaise : montrée comme modèle de politique libérale par le FMI et par l’Union européenne, l’Irlande a fait le choix d’une politique de dumping fiscal, pour attirer les capitaux. Un choix permis par la non-harmonisation fiscale européenne.
L’Irlande est ainsi devenue un paradis fiscal légalisé. Ce qui a attiré les banques étrangères, aboutissant à la création d’un complexe bancaire et financier surdimensionné par rapport à l’économie nationale. D’où une sur-liquidité et de bas taux d’intérêt… qui ont entraîné une bulle immobilière, puis l’explosion de la bulle et la faillite des banques.
La déréglementation instaurée en Irlande a empêché de contrôler l’activité des banques et leur prise de risque (qui, tant que tout allait bien, a permis aux investisseurs d’importants profits, avec des taux de rentabilité de 20 à 35%) et donc d’empêcher cette crise.
Face à la crise, l’État irlandais a recapitalisé les banques et créé une « bad bank » avec les créances insolvables. La dette publique irlandaise s’en est ressentie : elle est passée de 25% du PIB en 2006 à 90% du PIB en 2010.
Au lieu de montrer leur gratitude pour ce cadeau somptueux, les banques et les prêteurs internationaux, au vu du déficit public irlandais, ont déclaré l’État non fiable et exigé des primes de risque astronomiques, qui bien sûr ont alourdi la dette irlandaise.
Comme il fallait bien que quelqu’un paie celle-ci, le gouvernement irlandais a réduit les dépenses publiques, les dépenses sociales, supprimé des emplois publics, ponctionné le fonds de réserve des retraites, et abaissé les salaires.
Le taux de pauvreté a augmenté en Irlande… mais le taux d’imposition des entreprises est resté stable.

Les Islandais, eux, ont refusé de payer pour les banques

En Islande, la crise a des causes similaires à la crise irlandaise : le développement du secteur bancaire, qui emprunte à court terme à l’étranger et prête, à long terme, en Islande. D’où bulle immobilière et endettement des entreprises.
Survient la crise américaine des « subprimes » et l’assèchement international du crédit. Les trois grandes banques islandaises, qui ne peuvent pas rembourser leurs emprunts, s’effondrent.
L’État islandais, qui n’a pas les moyens de renflouer les banques, sépare le passif lié aux activités nationales des banques, et le garantit, du passif lié à leurs engagements internationaux, qu’il ne garantit pas, ce qui laisse présager la liquidation des banques et d’importantes pertes pour leurs actionnaires et pour les créanciers étrangers, qui avaient été attirés par des taux de rentabilité considérables : de 40 à 50%.
Sous la pression du FMI, de l’Union européenne, du gouvernement britannique (dont les banques ont d’importantes créances en Islande), le gouvernement islandais accepte de garantir le remboursement et commence à réduire les dépenses budgétaires. Les Islandais organisent alors des manifestations importantes et obtiennent un référendum, qui rejette le plan de remboursement. Un nouvel accord, plus favorable, est alors signé. Les investisseurs étrangers devront assumer la responsabilité de leur prise de risque inconsidérée, c’est-à-dire renoncer à être remboursés sur deniers publics.

Faut-il restructurer les dettes souveraines ?

Dans le dernier chapitre, Dominique Plihon évalue le choix entre une politique de rigueur budgétaire et une politique de restructuration de la dette.
Il opte pour la seconde au motif que cette dette est illégitime, fruit de la spéculation et des déductions fiscales.
Cette restructuration du montant de la dette et des taux d’intérêt entraînerait une réforme fiscale mais aussi un changement de politique européenne : financement des déficits publics par la BCE (par la création monétaire) ; désarmer les marchés financiers ; mener de nouvelles politiques économiques, écologiques et solidaires.

Philippe Cazal

On trouvera de nombreuses informations sur ce sujet sur le site du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde).

Ou sur le site d’Attac.

A lire aussi sur ce site, des Economistes atterrés, « Changer d’économie ! », Editions Les Liens qui Libèrent, 2012.
Cet ouvrage décrit les deux grandes politiques économiques : keynésienne ou néo-libérale. Il explique comment, en Europe, il est possible de revenir à une politique keynésienne, où la dépense publique joue son rôle.
Il défend le modèle social français et son bien fondé économique, critique la financiarisation des entreprises et illustre la possibilité d’une politique de l’emploi et d’une politique économique libérée des marchés financiers.

Eco Atterrés Propositions 2

Lire aussi le n°7 de la Revue Z, « Thessalonique dans la dépression européenne ». Comment les Grecs vivent la crise de la dette, les résistances, les modes de vie alternatifs, le réveil fasciste… www.zite.fr

Z Grèce 2



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