La faim, pourquoi ? F. de Ravignan

Plutôt que de vouloir « nourrir le monde », François de Ravignan propose que nous cessions d’empêcher les paysans du Sud de se nourrir eux-mêmes.

« La faim, pourquoi ? » Un défi toujours d’actualité. François de Ravignan. La Découverte & Syros, 2009.

COUV LA FAIM POURQUOI

La flambée des prix des denrées alimentaires et les « émeutes de la faim » du printemps 2008 ont fait la Une de l’actualité. Aujourd’hui, la sous-alimentation reste une dure réalité, même si on en parle moins : à ce jour, près d’un milliard d’êtres humains (soit 1 sur 7) souffrent de la faim. Ils habitent majoritairement les pays du « Sud », et en particulier l’Asie et l’Afrique. Et, paradoxalement, ce sont les familles paysannes qui souffrent le plus de la faim.
Pour François de Ravignan, agronome qui a beaucoup travaillé dans et sur ces pays, cette situation est le résultat d’une triple exclusion : exclusion de la terre, exclusion du travail, exclusion du marché.
Il l’explique dans un petit ouvrage (125 pages) paru en 2009 aux Editions La Découverte (réédition actualisée), « La faim, pourquoi ? Un défi toujours d’actualité ».
L’Occident a réussi, par sa « révolution agricole » qui a précédé la révolution industrielle, à acquérir un niveau d’autosuffisance alimentaire (qu’il a d’ailleurs confortée par la colonisation). Les hommes politiques, les firmes de l’agrofourniture, les chercheurs, les responsables agricoles du Nord disent souvent que, pour « nourrir le monde », et donc les pays du Sud, il faut y reproduire les techniques utilisées au Nord.
Pour François de Ravignan, ce modèle n’est pas transposable au Sud. Il ne suffit pas, dit-il, d’augmenter la production pour résoudre le problème de la faim ; et il cite l’exemple de la « Révolution Verte » qui à partir des années 70 a été diffusée notamment en Inde, en Asie du Sud-Est et dans certains pays d’Afrique : elle exige de gros investissements (semences sélectionnées, engrais, pesticides, irrigation) et, pour cette raison, elle n’a été, le plus souvent, accessible qu’aux paysans les plus fortunés. Les petits paysans, par contre, se sont endettés, sans pouvoir ensuite rembourser leurs emprunts, ruinés notamment par la baisse des prix consécutive à l’augmentation de la production.
Il faut ajouter que cette « révolution verte » a causé de graves dégâts à l’environnement.
La grande majorité des paysans du monde ne sont pas mécanisés : 2 % seulement ont un tracteur. Ils produisent très majoritairement pour l’autoconsommation, sur des superficies souvent trop petites pour nourrir suffisamment leur famille.
Ils n’ont pas les moyens d’acheter semences sélectionnées, engrais, pesticides.
Quant aux OGM (organismes génétiquement modifiés), censés augmenter la productivité, « leur premier effet est de priver les paysans de produire eux-mêmes leurs propres semences », et donc de les endetter.

« Plutôt que la production de masse, la production par les masses »

PortraitFdeRavignan

François de Ravignan, en 2009 devant la Maison Paysanne de Limoux (Aude). Il est décédé en 2011.

Si les agricultures traditionnelles du Sud ne parviennent pas à nourrir leur population, ce n’est pas essentiellement pour des raisons techniques. Les petits paysans du Sud sont souvent découragés de vendre leur production par la concurrence déloyale des denrées alimentaires du Nord : produites grâce aux subventions de la Pac (Politique agricole commune de l’Union européenne) ou de l’Etat américain, et exportées également grâce aux subventions, ces productions du Nord arrivent à bas prix sur les marchés du Sud et amènent les paysans locaux à cesser de produire pour le marché.
Un autre facteur de sous-alimentation au Sud est la production, sur de grandes superficies, par des sociétés multinationales (souvent d’origine française en Afrique), de cultures de rente, de la banane à l’huile de palme en passant par le soja et la canne à sucre. Ces cultures prennent la place des cultures vivrières. Les petits paysans sont souvent chassés de leur terre par ces sociétés, avec la complicité de leurs gouvernants ; les ouvriers agricoles qui travaillent dans ces plantations touchent souvent des salaires de misère ; les productions sont exportées, transformées à l’extérieur, et donc la plus-value et les emplois échappent aux pays du Sud.
Augmenter la production alimentaire, dit François de Ravignan, c’est une chose ; que tous y aient accès est une autre chose. L’amélioration de la situation alimentaire d’ensemble n’est possible que par l’accès du plus grand nombre aux moyens de production : la terre, des prix de vente corrects, l’outillage, les possibilités de transport, la liberté de s’organiser, la faculté de résister à la concurrence de productions étrangères, le crédit.
Sur le plan technique, l’auteur propose de donner la priorité à une meilleure utilisation de l’environnement immédiat, sans dépense monétaire.
Et il cite Gandhi (1916) : « L’important, ce n’est pas une production de masse mais la production par les masses ». Il est plus intéressant, poursuit F. de Ravignan, que des milliers de paysans, avec des moyens simples, doublent ou triplent leurs rendements, plutôt que de les multiplier par cinq ou six sur de grands périmètres où ne travailleront que quelques centaines de salariés (exemple d’un projet de périmètre irrigué au Burkina Faso).
Parmi ces « méthodes simples » : des semis à la bonne date, la fertilisation organique, un désherbage soigneux, l’acquisition commune d’intrants dont le matériel.
Dans sa conclusion, François de Ravignan souligne que les solutions à la faim dans le monde se trouvent aussi « ici » : il ne s’agit pas de savoir « comment nourrir l’humanité » mais « comment ne pas l’empêcher de se nourrir elle-même ». Il s’agit donc de mettre fin au mythe du « Progrès », du « Développement » et aux solutions occidentales de rentabilité maximale de l’économie, de guerre économique.
Il s’agit de fonder une nouvelle économie non pas sur le principe de la concurrence mais sur ceux de la complémentarité et de la solidarité.
Car, pour François de Ravignan, « la faim n’est que le symptôme le plus accusé de notre déshumanisation ».
Mais l’auteur ajoute que ce problème d’exclusion d’une partie de l’humanité n’est pas qu’un problème Nord-Sud. L’exclusion se produit aussi, et de plus en plus, au Nord, vis-à-vis des chômeurs ou encore d’une partie des agriculteurs. Raison de plus d’inventer un nouveau système économique et un nouveau mode de relation entre humains.

Philippe Cazal (paru dans le Paysan du Midi du 12/06/2009).

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Une « Association des Amis de François de Ravignan » a été constituée en 2011. Elle a tenu ses 2es Rencontres du 21 au 23 juin 2013 à Camps-sur-l’Agly (Aude). Renseignements : jeanlabourgade@wanadoo.fr

Pour en savoir plus sur François de Ravignan, voir le site de l’association (ci-dessus), le site de La Ligne d’Horizon ou encore lire le n°68 (2013) de la revue Horizons Maghrébins sur « l’Afrique en mouvement ». Il rassemble notamment 12 articles sur « François de Ravignan, une passion pour la terre et ses petits paysans ».

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Lire aussi, sur ce blog, « L’alimentation, un bien public, pas une marchandise« .



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