« El Comú Català » : la longue lutte du peuple contre la spoliation des biens communs

Le « sacré droit de propriété » et la démocratie par délégation, qui dominent aujourd’hui notre société, n’ont pas toujours été la règle. David Algarra Bascón, dans « El Comú Català. La història dels que no surten a la història », décrit ce qui a été la réalité, du Haut Moyen Âge au XIXe, en Catalogne comme ailleurs : la propriété et la gestion communales de la terre et des espaces naturels par les communautés rurales et l’auto-gouvernement en assemblée de ces communautés et des communautés des villes.

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« El Comú Català. La història dels que no surten a la història » (« Le Commun Catalan. L‘histoire de ceux que l’Histoire ne fait pas apparaître ») est paru en octobre 2015 aux Ed. Potlatch.

Ce livre, en catalan, de David Algarra Bascón, dévoile une réalité cachée par l’histoire officielle (« Qui contrôle le passé, contrôle le futur », dit George Orwell). Cette histoire, c’est celle du « commun » catalan. Le commun, pour la communauté des habitants (villageoise ou urbaine) mais aussi pour les biens communs.

L’auteur s’appuie sur un considérable travail de documentation, qui transparaît, avec de nombreux exemples de situations locales dans toute la Catalogne et à diverses époques (la Catalogne nord n’est pas oubliée).

Son principal enseignement, c’est l’existence durant une longue période, au moins depuis le Haut Moyen Âge puis jusqu’au XIXe (avec un délitement progressif sous les coups de boutoir de la monarchie puis du libéralisme), d’un mode de vie et de gouvernement du peuple aujourd’hui disparu.

Il y avait d’une part une combinaison de la propriété familiale (sur les maisons, leurs dépendances et sur les terres cultivées) et de la propriété communale (sur les pâturages, les landes, les garrigues et les bois mais aussi sur des biens publics tels que moulins, forges, fours, boucheries, taverne, systèmes d’irrigation…). La notion de propriété n’avait pas le caractère absolu que nous connaissons aujourd’hui : c’était avant tout un droit d’usage, avec obligation de maintenir le bien de façon durable pour les générations à venir.

D’autre part, sur le droit d’usage familial se superposait un autre droit d’usage sous la forme d’une série de servitudes au profit de la communauté. Tout habitant du lieu pouvait faire paître ses animaux sur les terres de cultures d’autrui après la récolte (droit de « rostoll » ou vaine pâture, et de « redall » ou secondes herbes), ou ramasser les épis oubliés (« espigatge »). Le passage du bétail profitait en même temps à la parcelle, qui recevait le fumier.

L’ensemble des habitants bénéficiaient par ailleurs de droits d’usage sur les terrains communaux : pâturer, faire du bois de chauffage, couper du bois de charpente, chasser, pêcher, cueillir fruits et plantes sauvages…

Le tout était régulé de façon collective pour éviter les abus et assurer l’accès équilibré de chacun aux ressources communes. La communauté se réunissait en effet régulièrement en « conseil ouvert », auquel tous les habitants (toutes les familles) pouvaient participer. Ces conseils avaient non seulement une fonction économique mais aussi, et peut-être avant tout, une fonction d’assurer le vivre ensemble (le mot « convivencia », cher aux amoureux du passé occitan, est le même en catalan).

Ce mode de vie « en commun » comportait la solidarité et l’aide mutuelle. La femme y avait une liberté qu’elle perdra quelques siècles plus tard. Et la communauté disposait d’une grande autonomie face au pouvoir royal ou seigneurial, qu’elle défendait d’ailleurs au besoin avec sa milice populaire.

Un droit coutumier détruit par la force

Cette réalité se retrouve, avec des variantes, en Castille et Léon, au Pays Basque, dans les Asturies, en Galice, et aussi au-delà des Pyrénées dans les domaines francs (ou encore en Allemagne, en Angleterre…). (1)

David Algarra Bascón analyse comment, à travers les siècles, la notion de communs est apparue puis a été battue en brèche. Des vestiges archéologiques montrent que les Ibères, qui peuplaient la Catalogne avant l’arrivée des Romains, ainsi que les Aquitains et les Vascons (dans une frange pyrénéenne au nord), avaient une structure sociale égalitaire et disposaient de zones d’usage commun (fours, silos).

Photo elcomu.cat

Photo elcomu.cat

La période romaine est une vraie coupure, avec l’imposition d’un système centralisé, oligarchique (grands domaines), patriarcal, esclavagiste. Mais avec la crise de l’empire on observe un retour à la campagne, une structuration en petits groupes avec des formes d’organisation de type communautaire et d’autosuffisance. L’unité d’exploitation, qui était la villa, devient la famille paysanne.

On note alors l’influence de la religion chrétienne, opposée (chez les premiers chrétiens) au patriarcat, à la propriété privée, à l’esclavage. Il faut noter que les premières églises rurales (VIe siècle) prennent la forme architecturale de la basilique, qui est un immeuble civil ; on peut penser qu’au-delà de leur fonction de lieu de culte elles avaient un usage de lieu de réunion.

Viennent les Wisigoths, puis les Francs. Ceux-ci amènent des populations, qui s’emparent de terres, mais les populations autochtones résistent. Au IXe, le déclin des Carolingiens s’accompagne d’une montée du pouvoir des populations dans le contrôle des terres.

Celui-ci, toutefois, était régi par un droit coutumier, non écrit. Le droit écrit appartiendra, par la suite, au Roi et aux seigneurs. Ceux-ci, avec les « chartes de peuplement » attribueront des « privilèges » : ils ne feront en fait que reconnaître les droits des occupants de la terre, c’est-à-dire les habitants et leurs communautés. Mais ce sera un premier pas dans la volonté d’accaparer ces terres.

Durant le Haut Moyen Âge et une partie du Bas Moyen Âge, le pouvoir n’était pas concentré, comme on l’imagine parfois, mais très divisé entre le Roi, le comte, les seigneurs laïcs et ecclésiastiques et le pouvoir populaire. Les premiers s’efforcent d’imposer peu à peu leur domination et de percevoir des rentes au détriment des populations. La création des paroisses, à la fin du IXe siècle, sera l’occasion de mettre en place la dîme et les prémices.

La spoliation des terres communales va se faire au long des siècles sous la pression de divers éléments : l’endettement des communautés, pressurées par le Roi pour payer les frais occasionnés par les nombreuses guerres, les amènera à vendre des biens ; à partir des XVe-XVIe s., les seigneurs attribueront à certains paysans des terres selon un bail emphytéotique (de longue durée et moyennant une rente) ; ces « propriétaires » emphytéotiques auront ensuite tendance à refuser l’application des servitudes communales sur « leurs » terres et auront tendance à vouloir s’agrandir au détriment du communal.

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La monarchie elle-même recourra, de 1798 à 1855, à des « désamortissements » (desamortitzacions) successifs, dont le dernier, le « désarmortissement de Madoz », aboutira à la vente des biens communaux : pour éponger ses dettes, le royaume avait décidé la vente des biens de l’Église, puis de ceux de l’État et des communs (terres, bâtiments, moulins et autres biens). En raison de l’instabilité politique (guerre napoléonienne, guerres civiles, guerres carlistes), l’application de ces décrets prendra du temps, mais l’abrogation des lois de désamortissement, en 1924, arrivera trop tard : le mal était fait.

Le prétexte budgétaire des désamortissements coïncide avec la montée du libéralisme, qui défend la propriété individuelle et exclusive.

Ce qui restait des biens communaux sera géré par l’État, notamment les bois, que les ingénieurs forestiers s’emploieront à artificialiser pour une utilisation marchande. D’ailleurs, au XXe s., l’expansion de l’agriculture productiviste, avec importation d’engrais et de carburants, coupera le lien avec la gestion traditionnelle des biens communaux, leur diversité d’utilisations et leur esprit durable.

Une longue résistance

Pour ce qui est des conseils ouverts, ils sont peu à peu remplacés, à partir du XIIe siècle et surtout au XIVe, et à l’initiative du pouvoir central, par des conseils fermés. Ils sont d’abord composés de représentants de la communauté, qui restent très liés par les décisions de celle-ci et n’ont qu’un pouvoir d’exécutif et de porte-parole, mais s’en affranchiront peu à peu. Puis, en 1716, les décrets de « nova planta » remplacent les conseils populaires par des municipalités (« ajuntaments ») le plus souvent dirigées par des magistrats (alcalde et conseil de regidors) nommés par le représentant du Roi. Les communautés continuent à lutter pied à pied pour conserver leurs conseils ouverts. Malgré cela, ceux-ci seront de plus en plus aux mains des élites locales dont la gestion sera peu conforme aux intérêts du peuple : perception croissante d’impôts, vente des biens communaux, souvent au bénéfice des gros propriétaires locaux.

Les élites espagnoles (l’Église, l’aristocratie et la bourgeoisie) auront donc réussi, bien qu’au bout de nombreux siècles du fait de la forte résistance populaire, à s’approprier les biens communs. Le régime libéral, en place à partir du XIXe, a une vision précise de la propriété : c’est la propriété des riches. Elle entraîne la prolétarisation des paysans, qui, privés de leurs moyens de subsistance, n’ont d’autre solution que d’aller vendre leur force de travail dans les villes.

L’expérience anarcho-syndicaliste, pendant la révolution sociale de 1936-39, s’est efforcée de recréer un pouvoir populaire dans les campagnes ; mais, dit David Algarra Bascón, « avec leur vision trop urbaine, ils n’ont pas compris qu’il y avait, de la part des paysans, une demande d’une solution mixte entre la propriété familiale et le travail collectif« . Il conclut avec l’historienne Rosa Congost : la fin de la société populaire rurale traditionnelle « n’est pas le triomphe de l’individualisme sur le collectivisme mais celui d’une minorité sur une majorité« . Ce que Blai Dalmau Solé dit d’une autre façon en parlant de « révolution des riches contre les pauvres ».

Ph.C.

1) Dans « L’Entraide, un facteur de l’évolution« , pages 289 à 292 (Ed. Ecosociété 2001), Pierre Kropotkine décrit le même processus de dépossession des communautés rurales tel qu’il s’est déroulé en France.

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En savoir plus :

Le livre est en vente, à Perpignan, à la Llibreria Catalana, 7 Place Jean Payra, tél. 04 68 34 33 74, site de la Llibreria Catalana.

Site du livre

Sur le livre encore :

Coopérative Intégrale Catalane

Reconstruir el comunal

Félix Rodrigo Mora (qui a préfacé ce livre) donne, dans une vidéo (en castillan), une vision du Moyen Âge peu conforme au discours conventionnel des historiens : Voir la vidéo

Publications de Félix Rodrigo Mora : Le livre « Naturaleza, ruralidad y civilización » (2008) évoque aussi le thème des communs.


Laudato Si’ : l’encyclique du pape François souligne la dimension politique et sociale de l’écologie

UNE VISION GLOBALE

Datée du 24 mai 2015, la lettre encyclique « Laudato si' » du pape François a pour préoccupation principale « la sauvegarde de la maison commune ». Elle met constamment en avant la volonté de ne pas dissocier les éléments de la « création » (la nature, l’Homme) mais au contraire de les envisager globalement. De fait, le pape expose une analyse politique, sociale et économique cohérente et il la relie à la spiritualité chrétienne.

Le pape François, Jorge Mario Bergoglio, le 7 juin 2015, Photo presidencia.gov.ar, Wikimedia Commons

Le pape François, Jorge Mario Bergoglio, le 7 juin 2015, Photo presidencia.gov.ar, Wikimedia Commons

« Laudato si’, o mi Signore » (Loué sois-tu, ô mon Seigneur), ainsi commence le Cantique des Créatures de Saint-François d’Assise. La référence constante, dans l’encyclique du pape François (Jorge Mario Bergoglio), à Saint-François est significative. Elle souligne le choix d’une attitude d’humilité de l’Homme face à la nature, à l’opposé de toute volonté de domination. L’ascétisme de Saint-François, rappelle l’encyclique, consistait en un « renoncement à transformer la réalité en pur objet d’usage ou de domination » (11)*. Il considérait la nature comme un livre reflétant « la beauté et la bonté de Dieu ».

* NOTE: L’encyclique est découpée en paragraphes numérotés ; nous signalons, au fil de cet article, les numéros des paragraphes concernés (ici, le paragraphe 11), de manière à pouvoir s’y reporter (lien vers le texte de l’encyclique en fin d’article).

Le pape, qui s’est entouré de nombreux conseils, notamment scientifiques, pour penser et rédiger cette encyclique, dresse d’abord un constat détaillé de « ce qui se passe dans notre monde » : les pollutions, le changement climatique, la perte de biodiversité. Tout de suite il insiste sur les conséquences de cette situation sur l’humanité, et en particulier sur les plus faibles. Le changement climatique et la dégradation de l’environnement touchent en effet d’abord les pauvres (25) : manque d’eau potable, qualité de l’eau et maladies, diminution des réserves de poisson, hausse du niveau de la mer, inégalité d’accès à la nature sauvegardée…

« L’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun »

Mais le pape François ne se limite pas à ce constat ; il analyse ses causes et en donne sa vision. Il pointe ainsi le « paradigme technico-économique » (53), la « soumission de la politique à la technologie et aux finances », l’intérêt économique qui « arrive à prévaloir sur le bien commun » (54).

Il parle plus loin de « paradigme technocratique dominant » (101) : les avancées de la science, dit-il, donnent « à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. » (104)

Ainsi, « la technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre. » (20)

On lit ailleurs que l’excès d’intervention humaine (sur l’environnement) est « souvent au service de la finance et du consumérisme » (34).

Il est question de « culture du déchet, « qui affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures » (22).

Ou de gaspillage alimentaire : « lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la table du pauvre » (50).

Mine industrielle (Guyane française) extrayant l'or primaire en filon et l'or alluvionnaire en paillettes (2006), photo Nateko, Creative Commons

Mine industrielle (Guyane française) extrayant l’or primaire en filon et l’or alluvionnaire en paillettes (2006), photo Nateko, Creative Commons

Et l’inégalité propre à notre société induit une « dette écologique, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux (…) et liée aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles » : exploitation polluante des matières premières, déchets gazeux à effet sur le climat au Sud, exportation des déchets vers les pays moins développés. Autant d’attitudes qui sont souvent le fait des entreprises multinationales (51).

Autre explication donnée à l’emprise inconsidérée de l’Homme sur la nature, le « relativisme pratique : « Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif. Par conséquent, il n’est pas étonnant que, avec l’omniprésence du paradigme technocratique et le culte du pouvoir humain sans limites, se développe chez les personnes ce relativisme dans lequel tout ce qui ne sert pas aux intérêts personnels immédiats est privé d’importance. Il y a en cela une logique qui permet de comprendre comment certaines attitudes, qui provoquent en même temps la dégradation de l’environnement et la dégradation sociale, s’alimentent mutuellement. » (122)

La Terre, héritage commun

La réponse de l’Église à la réalité qui est décrite, estime le pape François, doit s’appuyer sur l’idée que la « création » est un tout, comprenant l’Homme et la nature, qui sont intimement liés entre eux (62…). L’idée que l’Homme doit dominer la Terre, contrairement à certaines affirmations, « n’est pas une interprétation correcte de la Bible » qui dit plutôt que l’Homme doit « cultiver et garder le jardin du monde » (67).

L’action de l’Église doit donc être de rappeler à l’Homme son devoir de prendre soin de la nature et en même temps de « protéger l’Homme de sa propre destruction » (79).

Vient ensuite l’idée que la Terre est un héritage commun dont les fruits doivent bénéficier à tous (93) : « Le principe de subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une «règle d’or» du comportement social, et «le premier principe de tout l’ordre éthico-social».

La citation d’une déclaration des évêques du Paraguay va dans le même sens : « Tout paysan a le droit naturel de posséder un lot de terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure, travailler pour la subsistance de sa famille et avoir la sécurité de l’existence ». Ce qui doit s’accompagner, « en plus du titre de propriété », des moyens d’éducation technique, des crédits, des assurances et d’accès à la commercialisation (94).

On lit plus loin (95) la remarque des évêques de Nouvelle Zélande qui déplorent que « vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre ».

« Pirogue 010 » by Jon Ward – Olympus C5050Z. Licensed under CC BY-SA 2.5 via Wikimedia Commons – https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pirogue_010.jpg#/media/File:Pirogue_010.jpg

La politique et l’économie doivent se mettre au service de la vie

Le pape François dessine ensuite des « lignes d’orientation et d’action » (163…). Il note que les pays du monde sont interdépendants en matière environnementale et que le dialogue international a du mal à avancer vers un consensus. Bien que le Sommet de Rio ait été « innovateur et prophétique », ses accords, souligne-t-il, « ont peu été mis en œuvre ». Le dialogue doit prévaloir pour définir de nouvelles politiques et les populations doivent faire pression sur leurs dirigeants dans ce sens (179).

De manière générale la politique et l’économie doivent se mettre « au service de la vie, spécialement de la vie humaine » (189) : « Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après une longue, coûteuse et apparente guérison. »

Notons l’allusion discrète mais claire aux théories économiques libérales : « Il faut éviter une conception magique du marché qui fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus. » (190)

Et une autre, tout aussi claire, à la décroissance : « Nous devons nous convaincre que ralentir un rythme déterminé de production et de consommation peut donner lieu à d’autres formes de progrès et de développement. » (191). Le texte confirme plus loin : « L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. » (193)

En somme, il s’agit de « convertir le modèle de développement global » (194).

Le pape François conclut en mettant en évidence un « défi culturel, spirituel et éducatif » pour que l’humanité puisse changer (202). Ce défi passe par le rejet du « consumérisme obsessif (qui) est le reflet subjectif du paradigme techno-économique » et qui donne aux citoyens « une illusion de liberté ». Le nouveau style de vie à trouver permettra de « développer à nouveau la capacité de sortir de soi vers l’autre » (208).

Le pape invite à trouver dans la spiritualité chrétienne les motivations « pour alimenter la passion de la préservation du monde », dans une « conversion écologique » (216). Et il revient, entre autres exemples de la spiritualité chrétienne, au modèle de Saint-François d’Assise.

A quelques mois de la Conférence de Paris sur le Climat (Cop 21, du 30 novembre au 11 décembre 2015), cette encyclique est un message fort aux dirigeants des nations. Elle s’adresse aussi aux croyants et à tous les habitants de la Terre.

Ph.C.

Le texte de l’encyclique

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L’avortement

Le pape François, fidèle à sa vision globale, fait une évocation, pour le moins simpliste, de l’avortement : « Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement. » (120). Suit une référence à l’encyclique de Benoît XVI Caritas in veritate, de 2009. (1)

Les OGM

On trouve aussi, à partir du paragraphe 130, une approche très nuancée de la question des OGM (organismes génétiquement modifiés). Tout en leur reconnaissant parfois une certaine utilité (en médecine comme en agriculture), l’encyclique souligne leurs risques avérés : concentration des terres entre les mains de quelques uns, disparition des petits producteurs, perte de diversité, développement des oligopoles (grains, intrants, semences). D’où, selon l’encyclique, la nécessité d’une approche de la question qui implique une large discussion scientifique et sociale.

Un personnage complexe

Voir l’intéressant éclairage de l’histoire et de la personnalité de Jorge Bergoglio dans un article de Christine Legrand et Angéline Montoya (Le Monde du 1er/01/2016). On y devine un personnage ambivalent, entre morale conservatrice et progressisme social.

Sa proximité, dans sa jeunesse, avec le péronisme, pourrait expliquer en partie ses positions. Les journalistes décrivent aussi un Jorge Bergoglio très politique dont le discours antilibéral pourrait être lié à une volonté de conserver les masses populaires dans l’Église. Rien, toutefois, ne permet de douter de la sincérité de son intention.

Voir l’article du Monde

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Quelques commentaires par JJS

Nous avons demandé à JJS, auteur de « Le Désert Refleurira » (Ed. Golias, 2012) (2), de dégager de cette encyclique quelques points forts, puis nous lui avons posé deux questions pour nous éclairer :

Convictions qui forment une toile de fond de l’ensemble de l’encyclique « Laudato si’ » du pape François.

1° Les dérèglements actuels qui menacent l’équilibre planétaire sont dus à l’activité humaine irresponsable et cupide. Ils ne sont pas le fait d’un nouvel épisode naturel comme la précédente période glaciaire ou la chute d’une météorite détruisant la vie (malgré les protestations faussement indignées des capitalistes américains) .

2° Le pillage et la destruction de la nature en faveur des plus riches ont pour conséquence inéluctable le massacre organisé des plus pauvres (parfois physiquement). Les deux tiers de l’humanité qui n’ont pas des conditions élémentaires de vie sont directement agressés et appauvris par l’exploitation outrancière des ressources naturelles. Il y a un lien de cause à effet entre les deux phénomènes. Ce point est un engagement décisif qui va obliger les politiques à se positionner.

3° L’action politique qui en découle doit être contrôlée et prise en mains par les victimes de ce pillage. Doit cesser le scandale qui empêche des populations précarisées et misérables de profiter des immenses richesses de leur sol exploitées par les technocrates des pays riches.

4° Au niveau religieux chrétien une autre théologie de la création doit être développée. La morale judaïque (tirée du livre de la Genèse) fait de l’homme le propriétaire inconditionnel de tout l’univers créé, y compris du monde animal, qui peut en user et en abuser sans restriction.

Au contraire, la morale chrétienne fait de l’homme le gestionnaire d’une « maison commune » pour que sa beauté rende gloire à Dieu (saint François) mais aussi et surtout pour que des relations humaines fraternelles soient possibles. Il s’agit d’aménager notre maison pour qu’elle soit le berceau d’une vie humaine digne.

JJS, 6 août 2015

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Questions annexes

. Cette encyclique est-elle l’expression de la pensée du pape ou d’un collectif plus large au sein de l’Église ? Dans tous les cas, pensez-vous qu’elle est largement partagée, dans l’Église, ou plutôt une expression minoritaire (même si elle vient de la tête de l’Église)?

. JJS : « Ce texte reflète premièrement la pensée de Jorge Bergoglio, mais largement partagée par tous les évêques des pays pauvres. D’où les citations des épiscopats de ces pays. Mais dans le monde occidental riche, jusque là peu sensible aux causes du désastre, la sensibilisation nouvelle qu’elle provoque déjà ne peut donner lieu à aucune opposition. Bien au contraire, elle peut remobiliser des chrétiens et d’autres, qui pensent que tout est perdu et tout combat inutile. L’appareil interne de l’Église ne peut rien contre le pape François, parce qu’il a annoncé par écrit, avant d’être élu, le programme qu’il ne fait qu’exécuter. « 

. Pourquoi le pape cible-t-il l’écologie et pas, plus directement, le système politico-économique dominant ? Il est intervenu, notamment lors de son voyage en Amérique Latine, de façon plus ouvertement politique.

. « Il est impossible dans un écrit-encyclique d’aujourd’hui, de démarrer au niveau politique sans être accusé d’ingérence. Mais il est habile et plus efficace de montrer comment la mise en danger de «la maison commune» découle d’un système économico-financier (en bref d’un capitalisme sauvage) qui tient en laisse la politique internationale, afin de dénoncer ce système et la soumission du politique. Le terrain d’Amérique Latine était favorable pour être plus incisif. »

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1) Sur l’avortement, un commentaire de JJS :

« Pour exprimer une solidarité interne, il y a une dizaine de citations des papes précédents, même s’ils n’avaient pas ces préoccupations prioritaires, et d’inévitables propos de piété.

Le chapitre sur l’avortement vient comme un cheveu sur la soupe, dans ce même sens. Il amorce la bataille prochaine. Il rassure certains. Personne n’a envie de voir le Vatican légitimer l’avortement toujours perçu comme un échec, un drame, un malheur. En outre, les questions du mariage pour tous et de l’homosexualité n’intéressent presque personne. Par contre la bataille va se jouer sur la contraception et l’accueil des divorcés-remariés. »

2) http://golias-editions.fr/article5099.html

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Le Cantique des Créatures

En français avec aussi la version en italien

En français, avec des commentaires

 

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La prise de position d’autorités musulmanes

Les autorités musulmanes de 22 pays ont pris position, mi-août à Istanbul, pour un changement d’attitude face au changement climatique, demandant de favoriser les énergies renouvelables plutôt que les énergies fossiles et dénonçant « la cupidité de l’être humain » concernant l’exploitation des ressources naturelles.

Voir l’article de La Vie