Le fruit du chêne, un aliment pour l’homme

Cadeau de la nature qu’il suffit de ramasser, le gland a de tous temps participé à l’alimentation humaine dans les régions du pourtour méditerranéen, en particulier en période de disette. En Espagne et au Portugal, il trouve un regain d’intérêt dans un esprit de redécouverte d’une production traditionnelle et de mise en valeur d’une ressource naturelle.

On connaît le fameux jambon « ibérico de bellota », le jambon de cochons nourris aux glands en Extremadura (sud-ouest de l’Espagne). Il fait partie d’un système d’élevage qui a pour cadre la « dehesa », ce parcours planté de chênes clairsemés, exemple d’agro-foresterie traditionnelle que l’on retrouve aussi en Andalousie et au sud du Portugal (Alentejo).

Ce que l’on sait moins c’est que les glands ont été utilisés en alimentation humaine sur tout le pourtour méditerranéen et notamment en Espagne depuis le temps des chasseurs-cueilleurs, au Paléolithique, d’abord en fruit de cueillette puis en complément des cultures de céréales ; et cela jusque dans les années 1960. Ils ont joué un grand rôle dans les périodes de famine, sauvant bien des vies humaines. Un livre récemment paru rapporte de nombreux témoignages de l’utilisation des glands à travers l’histoire (1).

Cette pratique de consommation des glands faisait partie du système de vie rurale, où les bois et la forêt étaient un commun, appartenant à la communauté villageoise, riche en ressources (bois de chauffage et de construction, fourrage de feuilles d’arbres, baies, champignons, gibier, plantes médicinales, etc.) et jouant par conséquent un rôle déterminant dans l’économie locale, à côté des cultures.

Les boisements de chênes ont donc été soignés par les habitants, parfois en plantant des arbres, le plus souvent en sélectionnant ceux qui produisaient les meilleurs glands et en coupant les moins intéressants.

Les glands de toutes les espèces de chênes sont comestibles mais leur teneur en tanins varie, ce qui exige de désamériser ceux qui ont de fortes teneurs en tanins (et donc en toxines).

En élevage, les porcs mangent sans problème toutes les espèces de glands parce que, comme les sangliers et les cerfs, ils ont développé des défenses contre les tanins. Ce n’est pas le cas des équins, des bovins et des ovins, qui peuvent tomber gravement malades après l’ingestion de glands amers.

Les glands doux sont produits par un chêne vert, le Quercus ilex subsp. ballota ou le Quercus ilex subsp. rotundifolia, que les botanistes considèrent tantôt comme deux sous-espèces très proches, tantôt comme la même sous-espèce. On trouve ce chêne dans la majeure partie de la péninsule ibérique et au Maghreb. Ses feuilles sont plus arrondies et moins porteuses de piquants que celles de l’autre chêne vert, Quercus ilex ilex.

Celui-ci, aux glands amers, est très présent au nord de l’Espagne (côte atlantique et Catalogne), dans le sud de la France, en Italie et en Grèce.

Les autres espèces donnent des glands encore plus amers : Quercus suber (chêne liège), Quercus robur (chêne pédonculé), Quercus pubescens (chêne pubescent), Quercus coccifera (chêne kermès). Mais tous leurs glands sont utilisables.

On a noté qu’il existe des variations, pour la teneur en tanins, non seulement entre espèces mais aussi entre arbres de la même espèce et entre les différentes parties d’un même arbre. Les anciens en tenaient compte dans leur travail de sélection.

La récolte des glands a lieu selon les régions à partir de la fin septembre, surtout en octobre pour Quercus ilex ilex, parfois en février pour Quercus coccifera. La glandée est assez irrégulière selon les années.

Les glands doivent être cueillis à maturité, soit quand ils sont tombés au sol soit en secouant les branches avec de longues baguettes.

Ils peuvent être mangés frais ; ils le restent au maximum trois mois. Au-delà il y a plusieurs méthodes de conservation : le séchage, la torréfaction et aussi, dans l’Antiquité, l’immersion dans de l’eau.

Les méthodes de conservation servent aussi à désamériser les glands : on peut les lessiver, comme les olives, les faire sécher, les faire cuire dans de l’eau, ou encore les griller (dans la braise ou, par exemple, avec une poêle munie de trous ; il faut les fendre pour qu’ils n’éclatent pas).

Avant de les manger on les pèle pour enlever le péricarpe (écorce) et le tégument (peau) et ne manger que la chair (les cotylédons).

Le gland de chêne est riche en protéines et acides gras monoinsaturés. Il a été utilisé en médecine, encore au XXe siècle, contre la diarrhée, à cause de ses tanins.

En Espagne et au Portugal, on voit un mouvement de réhabilitation du gland dans l’alimentation et la gastronomie. Les usages culinaires sont nombreux : nature verts (pour les doux), séchés ou grillés ; en farine (pour le pain et la pâtisserie) ; en purée, en tourtes, omelettes, croquettes, crêpes ; et même pour faire de la bière et de la liqueur.

Ce retour du gland de chêne est en rapport avec le développement d’une économie rurale qui met à profit les traditions et en même temps avec une prise en compte de la diversité des ressources naturelles : il s’agit non seulement de cesser de détruire la nature mais aussi de la prendre comme elle est, avec ses richesses.

Ph.C.

1) « Las bellotas y el ser humano. Avatares de un símbolo en la península ibérica », Enrique García Gómez et Juan Pereira Sieso, Éditions Cuarto centenario, 2022.